Nano-aquarium éclairé, illustrant un bac où l’observation systémique prime sur la mesure des paramètres d’eau.

Quand trop d’analyses tuent l’aquarium

F. Mattier

Mais pourquoi mesure-t-on les "paramètres" des aquariums ? Pourquoi n'osons-nous pas l'avouer quand nous ne les mesurons pas ? En quoi sont-ils si essentiels ?
Découvrons ensemble en quoi l'approche systémique répond à ces questions et révolutionne réellement l'aquariophilie.

 

Une histoire de "boîtes noires"

On dit que, pendant la guerre, quand les alliés capturaient un avion ennemi et le désossaient pour connaître les dispositifs secrets qu’il contenait, ils utilisaient la technique de la « boîte noire ».

Le principe était que tout dispositif était susceptible d’être piégé. On ne pouvait donc pas l’ouvrir pour examiner ses mécanismes et branchements afin d’en déduire les fonctionnalités.

On le branchait donc et on observait tout simplement ce qu’il produisait.

 

J’ignore si cette histoire est vraie, mais on l’apprend à tous les étudiants à qui on enseigne l’approche systémique.

En qui cela consiste-t-il ?

 

Analyser, décortiquer le vivant ?

Normalement, lorsqu’on veut comprendre un système physique, chimique ou biologique, on fait des analyses et des mesures. On décortique en laboratoire et on modélise à partir de ces mesures et calculs pour savoir reproduire un phénomène, et donc l’expliquer. C’est ce qu’on appelle la démarche analytique : on ouvre le moteur et on démonte !

Mais dans le domaine du vivant et de l’écologie, on atteint un niveau de complexité tel que cela devient difficile.

 

Comment analyser l’ensemble des interactions au sein d’un écosystème ou d’un organisme vivant où tout interagit avec tout sans arrêt ? Comment mettre un écosystème complexe en équations ? Comment découper un organisme vivant pour comprendre pourquoi il vit… sans le tuer ?

On privilégie alors l’approche systémique : on observe le résultat de l’ensemble, en le considérant comme une « boîte noire ».

 

Un poisson mort et vivant à la fois ?

Lorsque j’ai créé le premier poubellarium en 2004, j’ai juste voulu au départ offrir à ma femelle guppy des vacances pour l’été, dans une poubelle au jardin.

L’approche analytique des experts (il y en a toujours beaucoup sur Internet!) aboutissait à une réalité évidente : sur la base du pH, de la dureté, de l’hygiène déplorable, des températures et de leur instabilité, ma guppette était morte. Et pourtant, elle était bien vivante, et même plus que jamais !

Tout ce qui allait devenir l’aquariophilie naturelle était là.

 

Si on analysait les 4 ou 5 « paramètres » classiques, considérés comme essentiels puisque qu’on ne connaissait qu’eux, le poisson devait être mort.

Et comme il était en réalité vif, superbe et plus coloré qu’au printemps, c’est qu’on passait à côté de quelque chose.

Le plaisir ? La nourriture vivante ? L’absence de bruits artificiels et mécaniques ? La lumière douce et variable, les gouttes de pluie ? Et pourquoi pas les étoiles visibles dans le ciel ?

On n’en saura sans doute jamais rien, mais le fait est que mesurer les paramètres ne servait à rien, juste à se tromper.

 

Le pH, par exemple, a peu d’importance.
Soufflez sur de l’eau osmosée et son pH variera aussitôt. Sur de l’eau dure, il ne se passera rien.
Le pH n’est que la résultante de la seule vraie constante réellement importante : la dureté de l’eau. Et celle-ci, vous la connaissez à peu près. L’eau de pluie est douce, l’eau du robinet est souvent dure (vous le saurez en regardant vos analyses sur Internet), et le mélange des deux est… entre les deux !
C’est d’une précision largement suffisante.


Les limites de l'analyse de l'eau de l'aquarium

Un écosystème aquatique ne peut pas être approché par les pauvres paramètres physico-chimiques contenus dans la mallette si essentielle vantée par le vendeur.
Tout ce que ces tests indiquent est parfois intéressant, mais presque toujours secondaire. Car l’effet de ceci ou cela sur le poisson ou l’aselle ou la crevette dépendra en réalité d’une foule d’autres choses.

Le poubellarium nous prouve cela : le poisson « devrait » être mort, mais il est en réalité plus beau et en meilleure santé que ceux, restés à l’intérieur, qui ont pourtant « les bons paramètres ».

Si vous passez deux mois à l’hôpital, tous les paramètres théoriques seront respectés. Votre nourriture est pesée, adaptée… mais infecte et capable de vous mettre le moral à zéro ! La température de la chambre est surveillée, votre santé est sous surveillance, tout est « monitoré ».

Et pourtant, l’essentiel de ce qui vous rend tonique, heureux et dynamique n’est pas là. Cet endroit idéal sur le papier est en fait le pire pour vous.

Vous seriez mieux à affronter le vent et le crachin sur une plage bretonne, avec les chaussettes trempées mais des amis pour aller vous réchauffer ensemble en riant devant un thé médiocre dans une gargote à touristes !

 

Le tableau Excel ne vous permet pas de voir la réalité complexe.

Il ne vous informe pas du tout sur la santé de votre écosystème aquatique.

Il ne vous dit rien de son microbiote qui fait pourtant sa stabilité et conditionne tous les cycles, y compris ceux, probablement nombreux, que l’on ne connaît pas !


Et si on lâchait prise ?

Inutile d’analyser ce microbiote et ses milliers d’espèces de bactéries, virus, champignons ou amibes qui le constituent. Les identifier ne vous servirait à rien, car il vous faudrait encore répertorier les millions d’interactions entre chaque espèce et les autres ! Et même là, vous ne sauriez pas quoi en faire.

L’approche systémique est généralement la seule efficace sur le terrain pour gérer les systèmes complexes.

Et votre aquarium en est un.

 

Un aquarium très planté, avec une lumière forte et un microbiote solide et varié (et donc un peu sale) contient moins de nitrates que l’eau du robinet, voire pas du tout.

Des poissons nourris avec du naturel, ressentant le plaisir de la recherche, poursuivant une daphnie, retrouvant leurs instincts essentiels, sont moins malades, moins fragiles, car moins stressés.

 

Plus l’aquarium vieillit, plus il devient généralement stable et accueillant.

Pourtant, ses « paramètres » mesurables n’ont pas changé.

Ces paramètres qui enrichissent le marchand de mallettes-du-parfait-petit-chimiste nous donnent l’impression de maîtriser. Les chiffres nous rassurent. Alors on en a trouvé quelques-uns… et on y tient !

Jamais ils ne vous diront la douceur d’une eau sur les écailles (déterminée par des molécules colloïdales ? Ou pas?). Ils ne vous diront rien du goût de l’eau dans laquelle le poisson ou la crevette vivent. Rien du ressenti complexe qui fait qu’on se sent bien ou mal dans cet aquarium…

 

Un poisson rouge vivra bien plus longtemps dans un bassin aux paramètres inconnus et jamais mesurés, à l’eau verte et boueuse, que dans un aquarium qui coche toutes les cases du manuel du parfait aquariophile.


La nature est belle.

La vie est belle.

Et l’aquariophilie est merveilleuse justement parce qu’elle est comme elles : elle ne tient ni dans des cases, ni dans notre arrogance.


Apprenons à ne pas tout savoir.

Mais à regarder.

Terug naar blog

5 opmerkingen

Mes chats adorent boire l’eau de mon poubellarium alors que l’eau du robinet est “bof” : ça me suffit comme paramètre de mesure de la qualité de l’eau ! ;-)

Nicolas

top! rien de plus à ajouter.

Francois

Merci pour ce rappel !

pascale Etcheverry

MERCI !! Cela fait des années que je me fais le même constat. Au début, à cause d’une dureté à corriger alors que tout allait bien dans le bac communautaire, cela a été l’avalanche de problèmes et un équilibre de l’eau encore plus difficile à obtenir. Retour à mes conditions de départ, tests mis au rencart, un aquarium beau, translucide et des poissons qui frétillent et se reproduisent. Un autre critère que je prends en compte également, c’est la sensation olfactive et quand une odeur au dessus de l’eau qui m’inspire la mousse et la fraîcheur, des petites bestioles qui jouent à saute mouton sur l’eau, des lentilles d’eau qui apparaissent sur les parois au-dessus
… bref, c’est le pied !!
Encore merci pour ce formidable article et continuez de nous enchanter

CIMINO

Voilà une publication qui risquerait de se fondre dans la masse des autres et ce ne serait que normal puisqu’il est du même auteur dont le talent n’est plus à souligner.
Mais cette fois encore, hormis la qualité à laquelle nous sommes habitués il y a un “plus” qui interpelle, c’est l’empathie; elle consiste à se mettre dans le peau du lecteur afin de s’assurer qu’il puisse facilement comprendre toutes les approches originales des sujets développés.

Turbang Pierre

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