
Le bonheur des poissons
F. MattierShare
Se demander si un poisson peut être heureux est-il une question idiote ? Les études récentes semblent pourtant bien effacer la frontière entre l'Homme et l'animal, poissons inclus.
Je vous invite aujourd’hui à une réflexion éthique.
Car la dimension éthique est à prendre en compte dans tout ce que l’on fait, même si l’on a souvent, dans ce domaine, plus de questions que de réponses.
Mais en être conscient, c’est important.
Comment rendre nos poissons heureux ?
Est-ce possible ?
Un poisson peut-il ressentir le bonheur ?
La captivité est-elle compatible avec le bonheur ?
Autrefois, cette question aurait semblé incongrue.
Les préjugés ont la peau dure
J’ai lu dans ma jeunesse que les Parfaits cathares (les « prêtres » cathares) du Languedoc étaient végétariens car ils ne devaient pas tuer. Mais ils mangeaient malgré tout du poisson, les poissons n’étant pas considérés comme les autres animaux, doués de sensibilité.
On a longtemps dit que, si les poissons pouvaient crier, bien des pécheurs ne pourraient plus pécher.
Récemment, les études scientifiques se multiplient sur la conscience des animaux, leur sensibilité, leurs capacités cognitives, voire d’empathie.
Plus les études s’accumulent, plus on voit s’effacer la frontière qui séparait depuis toujours l’humain de l’animal dans nos croyances.
Les animaux ressentent de l’affection, c’est devenu un fait acquis. Ils peuvent être malheureux, et donc, sans doute, heureux.
Ceux qui ont un chien, un chat ou un cheval le savent depuis longtemps.
Ceux qui ont des oiseaux, perruches, perroquets ou autres aussi.
Le poisson, animal trop étrange pour nous ressembler ?
Mais le poisson, parce qu’il est plus éloigné de nous, nous semble encore différent.
Il vit dans l’eau qui n’est pas notre milieu, il est à sang froid comme les reptiles et les insectes, il mange souvent ses œufs et ses petits… Bref, il nous est très étranger.
Et, comme nous avons du mal à nous mettre à sa place, comme son visage est peu mobile et sans expressions, comme les discours à son sujet sont seulement techniques, chiffrés et froids, nous ne le classons pas dans les animaux qui nous attendrissent.
Et pourtant, toutes les études actuelles montrent que, là encore, la frontière est un simple préjugé. Les poissons rouges sont doués d’une mémoire efficace et étonnante (contrairement à l’idée reçue), les poissons reconnaissent les visages humains, etc. Que nous reste-t-il encore à apprendre, alors que nous ne faisons qu’effleurer le sujet ?
S'interroger, douter, c'est déjà bien !
La prudence, le principe de précaution, me semble être de préjuger que les poissons ne sont pas différents de nous et des autres animaux sur le plan de la joie, de la souffrance, du désespoir, de l’attachement et, pourquoi pas, du bonheur.
Penser ainsi nous pose des questions très gênantes et nous demande donc du courage.
Car nos poissons sont en captivité, et cela nous donne au minimum une responsabilité.
En ce qui me concerne, j’ai de plus en plus d’aquariums sans poissons, peuplés d’une micro-faune riche et fascinante, vivant dans un monde immense pour elle avec des cycles biologiques complets, au milieu de plantes qui assurent, comme dans la nature, la complétude du cycle de la vie.
Mais j’ai encore quelques poissons en aquarium, dehors l’été, et à l’année en bassin.
La nature, source de bonheur ?
Sont-ils captifs en bassin ? Souffrent-ils de l’impossibilité de s’enfuir ? Car un poisson vit bien souvent dans un espace naturel limité, une mare ou un étang, voire une « grosse flaque » pour certains killis africains ! Les limites de la surface, des rives et du fond lui sont naturelles.
L’alimentation est un élément fort du plaisir (du bonheur?) des animaux, puisque c’est le moyen le plus universel de les apprivoiser, de les attirer vers nous.
Un poisson à qui l’on donne des daphnies est-il plus heureux ? Plus joyeux ? Moins souffrant ?
Cela semble bien être le cas...
Il est évidemment impossible de répondre totalement à toutes ces questions, qui méritent au moins d’être posées et d’exister dans nos réflexions.
Faire de son mieux...
Nous pouvons, pour le moins, éliminer les mauvaises pratiques, celles que l’on connaît. Le poisson rouge dans son bocal rond et ridiculement petit doit disparaître absolument.
Taper sur les vitres des aquariums aussi.
Que penser des poissons multicolores, par milliers dans les magasins, survivants du voyage et de l’élevage ? Ou pire, de ceux, encore trop nombreux, pêchés dans le milieu sauvage ? Ceux qu’on appelle pudiquement « wild » dans le catalogue des grossistes…
Je pense personnellement que le mieux qu’on puisse offrir à nos poissons, ce sont les conditions proches de celles de la nature, le danger et la peur des prédateurs en moins.
C’est le sens de toute l’aventure du poubellarium démarrée en 2004, c’est aussi la démarche à l’origine d’Aquazolla et celle de tous mes projets à venir.
Rien ne sert de se culpabiliser.
Soyons déjà conscients que les questions se posent.
Interrogeons-nous, si possible avec les yeux de demain plutôt que ceux d’hier, sur ce que nous pourrions bien découvrir que nous ignorons aujourd’hui.
Si les animaux ne sont pas des sous-humains, et les poissons des sous-animaux, mais juste différents, alors cela doit imprégner nos pratiques.
Et je vous promets que, lorsque ma femelle guppy mise en poubellarium en 2004 fuyait à mon approche au fond de l’eau verte, je souriais de la situation et je me sentais sans doute aussi heureux qu’elle.